Barcelone trace une ligne ferme : à partir de novembre 2028, aucun des plus de 10 000 appartements touristiques (HUT) de la ville ne verra sa licence renouvelée. Annoncée le 21 juin 2024 puis confirmée par le Tribunal constitutionnel espagnol, la mesure vise à restituer des logements aux habitants et à calmer l’inflation locative dans le marché le plus cher d’Espagne. « Vamos por el buen camino », a déclaré le maire Jaume Collboni après la décision, la qualifiant de « magnifique nouvelle pour le droit au logement ».
Ce que change la décision — et pourquoi novembre 2028 est crucial
Le 13 mars 2025, le Tribunal constitutionnel a validé le décret-loi catalan 3/2023, qui permet aux municipalités en tension de logement de limiter et de plafonner dans le temps les licences HUT. Points clés désormais applicables : l’activité HUT nécessite un permis d’urbanisme limité à cinq ans (renouvelable uniquement si la planification le permet) ; des plafonds peuvent être fixés jusqu’à 10 HUT pour 100 habitants ; et les municipalités peuvent refuser le renouvellement après une période de transition. Barcelone utilisera ce cadre pour laisser expirer les licences actuelles en novembre 2028, redirigeant l’offre vers l’usage résidentiel. La Catalogne définit en outre un HUT comme un logement loué intégralement à des tiers pour des séjours de 31 jours ou moins. Cette limite de 31 jours devient la ligne de conformité, poussant l’offre vers des séjours moyens (31–180 jours) et longs.
Prix : loyers, chambres et tarifs hôteliers donnent le ton
Les loyers restent les plus élevés d’Espagne. Au printemps 2025, Barcelone se situe autour de 23,5–23,9 €/m²/mois (Idealista, données municipales), en hausse à deux chiffres sur un an. À ce niveau, un appartement de 70 m² revient à ≈1 650 €/mois, et un 80 m² à ≈1 900 €/mois — un contexte expliquant la volonté d’augmenter l’offre résidentielle. La pression est maximale à l’entrée de gamme : en septembre 2025, le prix moyen d’une chambre atteint ≈570 €/mois, avec des quartiers prisés à 800–1 000 €. Cette demande soutient les stratégies mid-term, chambre par chambre et coliving respectant la règle des 31 jours. Les hôtels prospèrent également, renforçant l’attrait des conversions en aparthôtels ou résidences de services là où le zonage le permet. En mars 2025, l’ADR de Barcelone a atteint 197 €, avec un pic à 436 € lors de la nuit du MWC — un record pour un mois de mars. Les données du premier semestre 2025 montrent un ADR proche de 195 € avec des taux d’occupation stables.
Le pivot des investisseurs : trois stratégies pour remplacer les HUT
1) Locations longues (3–5 ans)
Avec des rendements bruts résidentiels autour de ≈6,5–6,7 % avant frais à Barcelone (T2 2025), le locatif classique reste viable à condition d’acheter au bon prix et de limiter la vacance. À l’échelle nationale, le T2 2025 montre ≈7,2 % bruts ; dans les grandes villes, c’est plus bas, avec Madrid ≈5,4 % — proche des rendements souverains, exigeant une rigueur accrue sur capex, fiscalité et financement.
2) Séjours meublés moyens (31+ jours)
Les anciens opérateurs de séjours hebdomadaires migrent vers des locations de 31 à 180 jours, prisées par les étudiants, travailleurs en mission et nomades digitaux. Bien géré, ce modèle peut générer des loyers effectifs supérieurs aux baux classiques tout en respectant le seuil légal. Barcelone encadre séparément l’alquiler de temporada, nécessitant une vigilance réglementaire.
3) Aparthôtels et résidences de services (hospitalité sous licence)
Le capital institutionnel se tourne déjà vers l’hôtellerie et le flex-living. L’investissement hôtelier a dominé l’immobilier espagnol au S1 2025 (≈1,77 Md€), et les conseillers citent le segment « living » (build-to-rent, PBSA, coliving, senior, résidences de services) comme prioritaire. Quand un immeuble peut être reclassé en aparthôtel, les opérateurs contournent la fin des HUT et profitent du cycle ADR et RevPAR barcelonais.
Voix du terrain : mairie, propriétaires et plateformes
Mairie
Après la décision, Collboni a présenté la mesure comme une victoire pour le logement : « magnífica noticia para el derecho a la vivienda ». La Ville estime que le retour de 10 000+ logements équivaut à « dix ans de production de logements libres », et assure que les licences ne seront pas renouvelées en novembre 2028.
Propriétaires
L’association APARTUR juge la mesure disproportionnée et prévoit des recours au niveau européen via la directive services Bolkestein. Elle évoque des réclamations de plusieurs milliards d’euros et alerte sur une recrudescence de l’offre illégale. « La UE tumbará la normativa », a déclaré la DG Marian Muro.
Plateformes
Barcelone accentue sa pression sur Airbnb concernant 300–400 annonces illégales par mois, avec menaces de sanctions administratives, civiles et pénales pour absence d’ID valides — un contrôle qui se renforcera à l’approche de 2028.
Cadre national
Depuis le 1er juillet 2025, l’Espagne a instauré un registre national des locations touristiques avec identifiants unifiés — un outil supplémentaire pour freiner l’offre illégale alors que Barcelone approche l’échéance.
Combien de licences — et quand expirent-elles ?
La Ville évoque souvent « ≈10 000 » HUT légaux, même si les premiers décomptes faisaient état de 10 101 licences ; les chiffres officiels ont varié entre 9 800 et 10 300 selon les phases d’application. Toutes les licences actuelles expirent en novembre 2028, sans possibilité de nouvelles attributions. À partir de 2029, Barcelone n’attend plus aucun appartement touristique « tel que nous les connaissons ».
Implications pratiques pour propriétaires et investisseurs
- Évaluer sur la base résidentielle, sans prime HUT. Les biens surcotés grâce à une licence HUT devront se recalibrer en logements classiques. Fonder ses prévisions sur les comparables long ou mid-term, pas sur l’historique des nuitées.
- Soigner aménagements et conformité. Les baux moyens réduisent la rotation par rapport aux nuitées, mais nécessitent finitions durables et meubles prêts à l’emploi ; prévoir un capex suffisant pour défendre loyers et taux d’occupation.
- Vérifier tôt le zonage aparthôtel. Les conversions reclassées en hospitalité peuvent viser des ADR >195 € et capter la demande MICE (ex. MWC), mais les risques d’autorisation et capex restent élevés. Tout dépend de la planification de district et du PEUAT hôtelier.
- Anticiper le risque juridique et l’échéance. La décision rend l’horizon 2028 crédible. Les recours européens pourraient durer, mais Barcelone peut avancer sous la législation actuelle, tandis que le registre national et le contrôle local limitent les canaux illégaux.
Conclusion
Avec l’appui du tribunal, la suppression des licences touristiques en novembre 2028 est désormais actée. Les remplaçants rentables sont les baux longue durée, les séjours meublés de plus de 31 jours et, là où c’est possible, les aparthôtels ou résidences de services sous licence qui profitent du cycle hôtelier barcelonais. Attendez-vous à une revalorisation des ex-HUT, à des standards plus élevés dans le mid-term et à un capital sélectif orienté vers les formats adossés à l’hôtellerie, tandis que la ville reconstruit son offre résidentielle et canalise le tourisme dans des cadres légaux.