Alors que le marché immobilier commercial européen connaît sa correction la plus marquée depuis plus d’une décennie, les analystes de JLL, CBRE, Savills et MSCI s’accordent à dire que la majorité des actifs commerciaux en Europe sont aujourd’hui sous-évalués. Alimentée par la hausse des taux d’intérêt, les changements structurels dans la demande locative et une prudence accrue des investisseurs, cette sous-évaluation ouvre une fenêtre stratégique rare pour les investisseurs disposant de liquidités.
Dans plusieurs secteurs et régions, les actifs se négocient avec une décote de 15 % à 40 % par rapport à leurs valeurs d’avant-crise — une opportunité rarement observée sur un marché historiquement stable.
Des taux en hausse, un ajustement des risques : les causes du recul
La remontée des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne a profondément influencé les valorisations. Depuis 2022, le taux directeur de la BCE a grimpé jusqu’à 4,25 % à la mi-2025, un niveau inédit depuis près de vingt ans.
Conséquences directes :
- Forte hausse du coût de financement pour les propriétaires d’actifs
- Réduction de la liquidité sur les marchés immobiliers
- Révision à la baisse des prix, notamment pour les immeubles peu performants sur le plan énergétique ou sans garanties locatives solides
Les bureaux et les commerces ont été les segments les plus touchés, surtout dans les emplacements secondaires. Selon l’indice MSCI Europe Real Assets, les bureaux prime dans les grandes villes européennes ont perdu en moyenne 23 % de leur valeur depuis 2021.
Où les baisses sont-elles les plus fortes ?
Les analystes identifient plusieurs pays où la sous-évaluation est la plus notable :
- Allemagne – Les immeubles de bureaux à Francfort, Berlin et Munich ont perdu 30 à 35 % de leur valeur par rapport à leur pic, avec des rendements passant à 5,5 % ou plus
- France – Si Paris reste relativement résiliente, les actifs de commerce ou hôteliers en région ont chuté de 20 à 30 %
- Espagne et Portugal – Les actifs hôteliers et résidences avec services se négocient avec 35 à 40 % de décote en dehors des zones très touristiques
- Italie – Milan tient bon, mais des villes comme Bologne ou Gênes enregistrent des baisses supérieures à 25 %
- Europe centrale – En Pologne, Hongrie et Tchéquie, les valorisations ont reculé de 15 à 25 %, impactées par les coûts de financement et le risque de change
La logistique plus résistante, mais pas immunisée
Le secteur logistique reste relativement robuste grâce à la demande du e-commerce, mais même lui connaît une correction de 10 à 15 %, avec des rendements moyens autour de 4 à 4,5 %.
Exemple : une plateforme logistique en proche couronne parisienne, valorisée à 2 800 €/m² en 2021, peut aujourd’hui valoir 2 400 €/m² selon le profil locatif.
Ce que disent les experts
Selon le rapport d’investissement de Savills :
« Les valorisations actuelles reflètent davantage les tensions du marché du capital que les fondamentaux des actifs eux-mêmes. »
Andrew Hilton, directeur des marchés de capitaux chez Savills Europe, indique que de nombreux investisseurs se mettent en retrait non par manque d’intérêt pour les biens, mais en raison des coûts de financement élevés et d’une volatilité persistante.
CBRE confirme cette tendance : les rendements des bureaux prime en Europe occidentale sont passés de 3,25 % à 5,25 %, ce qui rétablit une certaine attractivité pour les investisseurs long terme.
Des transactions qui confirment la correction
Même si les volumes globaux restent faibles, plusieurs opérations notables en 2025 montrent un regain d’activité :
- KKR a acquis un immeuble de bureaux emblématique à Amsterdam pour 310 millions d’euros, soit une décote de 22 %
- Allianz Real Estate a investi 470 millions d’euros dans des plateformes logistiques en Europe centrale
- Brookfield est en négociation pour racheter un portefeuille de parcs d’affaires en Allemagne avec une décote de 35 %
- Nuveen a lancé un fonds de 600 millions d’euros ciblant des actifs en difficulté à repositionner
Ces exemples montrent que le capital institutionnel est prêt à intervenir — à condition que le prix soit adapté au risque.
Qui investit et pourquoi ?
Les profils d’investisseurs les plus à même de profiter de ce cycle :
- Fonds de capital-investissement spécialisés dans la restructuration d’actifs en difficulté
- Investisseurs institutionnels (fonds de pension, assureurs) en quête de rendement sécurisé et indexé à l’inflation
- Gestionnaires core+ et value-add misant sur la réhabilitation ESG
- Fonds souverains et family offices disposant de liquidités importantes et peu dépendants de la dette
À l’inverse, les promoteurs et investisseurs surendettés sont contraints de céder leurs actifs ou de suspendre leurs projets, ce qui alimente encore la pression baissière sur les prix.
Les risques à surveiller
Malgré les opportunités, plusieurs risques subsistent :
- Coût élevé des rénovations ESG, pouvant atteindre 500 à 1 500 €/m²
- Faiblesse de la demande locative, surtout pour les bureaux anciens ou mal situés
- Maintien prolongé de taux élevés, qui pourrait ralentir la reprise
- Pression réglementaire croissante, notamment sur la performance énergétique des bâtiments
Vers un point d’inflexion ?
Certains analystes estiment que le marché approche de son point bas. Selon JLL :
« L’écart entre vendeurs et acheteurs se réduit. Nous anticipons une reprise progressive des transactions dès le 4e trimestre 2025. »
Cela marquerait le passage d’une logique défensive à une stratégie plus opportuniste — comme cela a été observé après la crise de 2008.
Conclusion
Les analystes sont clairs : la majorité des actifs commerciaux européens sont aujourd’hui sous-évalués. Ce n’est pas une crise, mais un ajustement structurel, lié aux nouvelles conditions de financement et aux attentes des utilisateurs.
Pour les investisseurs patients, bien capitalisés et dotés de compétences opérationnelles, le contexte de 2025 représente une opportunité rare — comparable à celle du début des années 2010. Mais la sélection rigoureuse des actifs, des marchés et des stratégies sera déterminante pour générer de la valeur dans ce nouveau cycle immobilier.